Aux balbutiements de la Terre, les Muses étaient déjà l’une des plus anciennes créations de la Toute-Puissante. Elles inspiraient les mondes, les peuples et même les artistes d’autres univers, quand cette pauvre Terre n’était encore que le chaos complet en dehors d’Eden. Les Muses virent grandir Adam, Ève et Lilith, elles virent s’enchaîner les nombreuses descendances humaines, elles virent le Serpent offrir la Pomme à la Demoiselle. Elle n’avait guère grand intérêt pourtant, à ce moment-là. Elles observaient de loin, tandis que le Père disait « Votre temps viendra mes filles, votre temps viendra. » Loyale et à l’écoute des ordres de leur Créatrice, elles hochèrent la tête et écoutèrent ses mots. Il répétait à chaque mois de la naissance d’une Muse « Votre temps viendra mes filles, votre temps viendra. » Et à chaque fois, les Muses le croyait. Aucune d’entre elles n’osaient s’insurger par impatience de la venue de ce mystérieux « temps » qui serait le leur. Elles ne comprenaient guère ce que Dieu entendait par-là,  car les voies du Seigneurs étaient si complexes pour de jeunes créatures abstraites comme elles. Lorsque le Serpent fit croquer à Ève et Adam la pomme, Dieu les envoya hors du grand Jardin. Cet endroit abrupte et caverneux était la peur que redoutait chaque habitant d’Eden, c’était vide, sauvage, dangereux et la douleur existait. La douleur, c’était cette chose inconnue des Muses et des Anges, autant qu’elle l’avait été des humains. Penchée au-devant des nuages, les Muses regardaient avec intérêt et curiosité ce qu’était cette souffrance qu’elles n’avaient jamais connues, elles supposèrent que la douleur était de ne plus être au Jardin, elles ne comprenaient quelle était cette étrange eau écarlate qui coulait d’Eve et d’Adam lorsqu’ils tombaient ou qu’un caillou se terminant en triangle se frottait sur leurs peaux brunes comme le ciel lorsqu’Hélios se couchait car Dieu avait commandée à Sélénée de le remplacer pour quelques heures. Les Muses n’avaient pas non plus encore compris ce qu’était « le sommeil », c’était une chose étrange pour elles. Elles avaient vue Adam et Ève s’allonger sur la roche dans la caverne qui était devenu leur foyer, et elles les regardaient être allongés et immobiles, les yeux clos, pendant cinq heures, parfois huit. Quelques Muses vinrent demander à la Grande Gabrielle « Pourquoi sont-ils allongés ainsi ? » Et celle-ci leur dit « Car ils dorment. » D’autres Muses haussèrent leurs têtes brumeuses dans la direction de Gabrielle et demandèrent « Qu’est-ce que c’est, dormir ? » et Gabrielle ajouta « C’est ce qu’ils font. » « Pourquoi le font-ils ? » demanda une autre Muse, celle de cette histoire, et Gabrielle termina « Parce qu’ils le doivent. » Et les Muses n’osèrent pas questionner plus longtemps, parce qu’elles savaient que s’ils le devaient, c’est que Dieu l’avait décidée. Comprenant ce qu’était le sommeil, elles regardèrent les deux humains sommeiller, et furent curieuses, sans que nul ne le leur interdise ou ne les empêche, elles descendirent sur Gaïa et s’approchèrent d’Ève et d’Adam quand ils sommeillaient. Gabrielle gardait bien entendu un œil sur elles, mais elle n’intervenait pas, car elle savait que le temps des Muses était venu.

Les Grandes Muses s’étaient approchées d’Eve et d’Adam tandis que les autres Muses les regardaient de loin, laissant à leurs grandes sœurs primordiales le droit de toucher les enfants mortels de la Créatrice. Du haut de son trône d’or et de nuages, Dieu regardait ses Muses, et elle hocha la tête comme pour répondre aux Grandes Muses qui hésitaient encore à poser la main sur les corps nus et endormis d’Adam et d’Ève. Lorsque chacun toucha Eve et Adam, elles découvrirent leur but et leur don. Chacune venait d’inspirer. Chacune des Grandes Muses venaient d’offrir des idées aux deux premiers enfants. Ayant laissée de grandes et nouvelles idées dans les âmes jeunes et nouvelles d’Eve et d’Adam les Muses retournèrent au Jardin. Elles furent accueillies à bras ouverts par Gabrielle, souriante et vêtue d’une armure dorée qu’elle n’avait jamais porté auparavant, sa Lance dans une main, l’autre était ouverte, tendue vers la toute première des Grandes Muses, Melpomène, celle qui naquit le premier mois de Janvier. Melpomène s’avança sans peur et sans crainte, attrapant la main de Gabrielle. Celle-ci l’emporta avec elle, faisant quelques pas dans le Jardin, tandis que le reste des Muses les suivaient, à quelques pas de la Séraphine et de Melpomène. Gabrielle s’arrêta et lâcha la main de Melpomène lorsqu’elles arrivèrent devant les gigantesques portes d’or qui menaient à l’escalier menant au Trône. Si Melpomène et ses sœurs avaient eu des yeux, ils auraient été écarquillés devant la beauté aveuglante de ces portes. Gabrielle fit s’ouvrir les portes d’or d’un geste de la main désormais libre. Et tandis qu’elle se retourna vers les Muses et leur grande sœur, elle dit « Elle ne veut voir que Melpomène. » Les sœurs de celle-ci commencèrent à s’inquiéter, avaient-elles déçues la Créatrice ? Ne voulait-Elle plus des autres ? Melpomène avait-elle été la seule Muse digne de son Dieu ? Inquiètes et tristes les sœurs commençaient à paniquer, mais la voix claire et forte de Melpomène s’interposa sur ce que Gabrielle allait dire. « Mes sœurs, Dieu vous aime autant que moi, autant que Gabrielle, autant que chacune de ses créations. » Gabrielle hocha la tête, un sourire calme aux lèvres. Elle laissa Melpomène grimper le Grand Escalier, tandis qu’elle refermait les portes et que les Muses attendaient le retour de leur Sœur. Lorsque Melpomène revint, elle était souriante. Porteuse de nouvelles elle parla à ses sœurs, tandis que Gabrielle se tenait en arrière, appuyée sur sa Lance et levant les yeux vers les nuages qui couvraient le Trône. « Dieu a dit, Notre temps est venue mes sœurs, notre temps est venue ! » S’exclama Melpomène entourée de toutes ses sœurs. Une grande explosion de joie traversa chacune de toutes les Muses, heureuse de pouvoir honorer ce pour quoi elles avaient été engendrées par la Créatrice.

Née au second mois de Janvier, Azmodron portait un tout autre nom qu'elle oublierait bien plus tard, lors de sa défection du Ciel. Quand elle était encore là-haut, on disait d'elle qu'elle était la plus attentive du mois de Janvier et la plus déterminée de ses sœurs du même mois. Après le premier déluge, quand les hommes étaient encore jeunes dans la Création, elle reçut ses premiers attributs, le chapelet de perles, de la soie et une pierre d'ambre orangée. Elle en vêtit son premier avatar, un garçon qu'elle dessina selon ses propres envies, comme toutes ses sœurs le faisaient avec leurs avatars. Celui-là devint rapidement sa seule et unique apparence physique, tant elle l'adorait. Il lui arrivait de porter son avatar au sein même des Cieux, ce n'était pas mal-vu, c'était simplement extravagant. Puisqu'on était habitué à voir les Muses sous leur véritable apparence, là-haut. De cette-même apparence, elle se servit pour inspirer sur la Terre. Avec de nombreuses autres Muses, elle participa à l'inspiration primaire des Hommes primitifs, leur murmurant des idées et des concepts, elle fut l'une de celles qui fit naître les gravures dessinées sur les parois rocheuses des Grottes de Lascaux. Mais pendant que les premiers hommes vivaient, le Ciel était en guerre. Lucifer avait été déchu et condamné à régner aux Enfers, la nouvelle provoqua une vague de révoltés voulant s'en prendre au trône et à la Créatrice. Les Anges affrontèrent d'autres Anges pendant des siècles et des siècles, tandis que l'humanité stagnait encore à cause de ce conflit. Ils n'évoluaient plus, puisque le Ciel ne pouvait pas s'occuper d'eux. Le Paradis tout entier était en guerre contre lui-même, toutes les créatures du Ciel s'entretuaient, peu importe si elles étaient guerrières ou non, elles devaient se battre. Elles devaient. Mais nombreux étaient ceux qui ne voulait pas prendre partie. Azmodron en faisait partie, et comme les autres lâches, elle se cacha le temps des guerres, sur Terre. Pendant de très longues années, elle resta cachée en bas et lorsque le Cor des Cieux sonna et que les Révoltés furent tous bannis dans les Enfers, devenant les premiers Démons, les lâches furent rappelés de force et le Métatron les condamna tous, non pas parce qu'ils s'étaient révoltés, mais parce qu'ils avaient refusés de prendre part au combat, et qu'ils avaient mis en danger la Déesse. Azmodron fut bannie, comme des millions d'autres âmes. Enfermée aux Enfers pendant des millénaires et des millénaires, elle devint un démon. Mais pas comme les anges ou comme les mortels pêcheurs le devinrent. Les rares Muses qui n'avaient pas combattues étaient devenues des immondices gardant leurs traits célestes mais aux pouvoirs d'en-dessous. Elles pouvaient désormais, en plus d'inspirer, engendrer des peurs, des doutes ou des folies. Azmodron fut responsable comme d'autres de ses sœurs tombées de la folie qui ravagea l'esprit de Vincent Van Gogh. Contrairement aux démons, les muses déchues n'étaient pas enchaînées aux Enfers puisqu'elles étaient immatérielles, et pouvait en sortir à leur guise. Azmodron n'est plus jamais retournée en Enfer depuis que Dieu a disparue, trop apeurée par la haine et la rage des démons.